- Title:
- sous-série AG/5(4) : Archives de la Présidence de la République sous François Mitterrand
- Dates:
- 1981-1995
- Level of description:
- fonds
Administrative history/biographical note
En remportant 51,76 % des suffrages exprimés face à Valéry Giscard d’Estaing le 10 mai 1981, François Mitterrand accède à la présidence de la République au terme d’une longue marche vers le pouvoir. Il a 65 ans et derrière lui une riche carrière politique commencée dans l’immédiat après-guerre. Réélu pour un second mandat en 1988, il ne quitte l’Élysée qu’au soir de sa vie en 1995, laissant un pays marqué par son œuvre politique.
Né le 26 octobre 1916 à Jarnac (Charente) dans une famille bourgeoise catholique et conservatrice, François Mitterrand, cinquième d'une fratrie de huit enfants, passe son enfance entre Jarnac, Touvent et Angoulême, où il effectue ses études secondaires au collège Saint-Paul. Son baccalauréat en poche, il « monte » à Paris en 1934 pour y suivre des études à la faculté de droit et à l'École libre des sciences politiques. Il réside alors dans un foyer de la rue de Vaugirard tenu par les pères maristes (le fameux 104), où il se lie d'amitié avec André Bettencourt, Claude Roy et Pierre de Bénouville. Ses sympathies vont à cette époque à la droite nationaliste. Il milite aux Volontaires nationaux, mouvement de jeunesse des Croix-de-feu du colonel de La Rocque, écrit à partir de 1936 dans le journal L'Écho de Paris et fréquente des membres de la Cagoule.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, François Mitterrand termine ses études de droit. Il est envoyé sur la ligne Maginot comme sergent-chef dans un régiment de l'infanterie coloniale. Blessé à Verdun en juin 1940, il est bientôt envoyé dans un camp de prisonniers en Allemagne dont il parvient à s'échapper en décembre 1941, après deux tentatives infructueuses. De retour en France, il rejoint Vichy, où il obtient un poste à la Légion française des combattants et des volontaires de la Révolution nationale, puis au Commissariat au reclassement des prisonniers de guerre, où il fabrique de faux papiers pour favoriser les évasions. Il en démissionne en janvier 1943 à la suite du remplacement du vichysto-résistant Maurice Pinot par André Masson, partisan de la collaboration. Mitterrand s'engage désormais dans la voie de la résistance. Déjà lié au réseau du château de Montmaur, il se rapproche de l'Organisation de résistance de l'armée (ORA) et s'efforce de structurer la résistance des anciens prisonniers de guerre en mettant sur pied avec Pinot le Rassemblement national des prisonniers de guerre (RNPG). En mai 1943, il est néanmoins décoré la francisque. Après un coup d'éclat lors d'une réunion publique organisée par Pierre Laval salle Wagram à Paris en juillet 1943, Mitterrand entre dans la clandestinité. Il recourt désormais à plusieurs pseudonymes, dont le plus célèbre, Morland. Recherché par la Gestapo, il rejoint Londres, puis Alger à la fin de l'année 1943. Il y rencontre le général de Gaulle qui lui donne l'ordre de fusionner son mouvement de résistance avec celui des gaullistes. À son retour en France à la fin février 1944, Mitterrand devient l'un des trois dirigeants du Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (MNPGD). En mai, il est nommé secrétaire général provisoire aux Prisonniers, Déportés et Réfugiés du Comité français de libération nationale (CFLN). En août, il participe à la libération de Paris et à l’éphémère cabinet des secrétaires généraux à qui de Gaulle a confié le soin d’occuper le pouvoir jusqu’à l’installation du Gouvernement provisoire de la République française. Il épouse en octobre 1944 Danielle Gouze (1924-2011), qu'il a rencontrée dans la Résistance et qui lui donne trois fils : Pascal (mort à quelques mois en 1945), Jean-Christophe (né en 1946) et Gilbert (né en 1949). La famille vit à Paris, rue Guynemer, près du jardin du Luxembourg, puis rue de Bièvre, dans le 5e arrondissement.
L'année 1945 voit François Mitterrand, avocat de profession, tenter sa chance dans la presse, d'abord comme directeur du journal de la Fédération nationale des prisonniers de guerre, Libres, puis comme collaborateur du magazine Votre Beauté au sein du groupe l'Oréal créé par l'ancien cagoulard Eugène Schueller. Mais c'est vers la politique que Mitterrand décide de se tourner. Il adhère en février 1946 à l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), mouvement de centre-gauche qu'il préside de 1953 à 1965 : les valeurs de progrès social portées par la Résistance l'ont emporté en lui ; le Mitterrand conservateur de l'entre-deux-guerres n'est plus. Après un échec dans la Seine en juin 1946, il parvient à se faire élire député dans un département rural qu'il a choisi : la Nièvre.
François Mitterrand devient rapidement et malgré son jeune âge une figure incontournable des gouvernements de gauche de la IVe République. Entre 1947 et 1957, il est membre d'onze gouvernements différents : ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre (1947, 1947-1948), secrétaire d'État à l'Information (1948), secrétaire d'État à la vice-présidence du Conseil (1948), puis à la présidence du Conseil (1948-1949), ministre de la France d'outre-mer (1950-1951, 1951), ministre d'État (1952), ministre délégué au Conseil de l'Europe (1953), ministre de l'Intérieur (1954-1955) et enfin garde des Sceaux (1956-1957).
Cette décennie est marquée par le lancement de la construction européenne, à laquelle Mitterrand est très favorable, ainsi que par l'épineuse question coloniale. François Mitterrand se situe dans le camp des réformateurs qui souhaitent accorder une plus grande autonomie aux pays de l'Union française et transformer la société coloniale. Se rapprochant de Pierre Mendès France, il refuse de cautionner la guerre qui fait rage en Indochine et la répression au Maroc et en Tunisie. Lorsque Mendès France parvient à la présidence du Conseil en juin 1954 à la suite du désastre de Diên Biên Phu, François Mitterrand est nommé ministre de l'Intérieur. À peine en place, il fait, à tort, l'objet de soupçons dans le cadre de « l'affaire des fuites » qui ébranle Mendès France. Lorsque la Toussaint Rouge inaugure le cycle des violences en Algérie (1er novembre 1954), Mitterrand déclare « l'Algérie, c'est la France » et s'attelle dès lors à mettre en place une série de réformes devant permettre de ramener le calme dans les trois départements algériens. Mais le cabinet Mendès France tombe en février 1955.
Au lendemain des élections législatives de janvier 1956 remportées par un vaste front républicain de gauche, François Mitterrand revient au gouvernement comme garde des Sceaux de Guy Mollet. À ce titre, il participe aux travaux qui aboutissent à l'indépendance du Maroc et de la Tunisie. Tout en déplorant le tournant répressif de la politique de Mollet dans l'affaire algérienne, Mitterrand donne son aval à un grand nombre de condamnations à mort prononcées par les tribunaux d'Algérie et appose sa signature, en mars 1956, au décret donnant tous pouvoirs aux militaires en matière de justice civile. Après la démission de Guy Mollet en mai 1957, les gouvernements se succèdent sans parvenir à résoudre la crise algérienne. Face au putsch d'Alger, le président de la République René Coty se résout à rappeler au pouvoir le général de Gaulle le 1er juin 1958. François Mitterrand est alors l'un des rares parlementaires à refuser sa confiance à l'homme du 18 juin et à appeler à voter non au référendum sur son projet de nouvelle Constitution.
Désormais dans l'opposition, Mitterrand perd les élections législatives de novembre 1958 mais parvient à se faire élire maire de Château-Chinon et sénateur de la Nièvre. Il consolide son ancrage local en accédant aussi à la présidence du conseil général de ce département en 1964. Cependant, sa traversée du désert dans la France gaullienne s'accentue avec le discrédit que lui cause « l'affaire de l'Observatoire ». En 1962, il milite en vain contre le principe de l'élection du président de la République au suffrage universel proposé aux Français par Charles de Gaulle mais retrouve son siège de député. Deux ans plus tard, après avoir pris acte du déclin irrémédiable de l'UDSR, Mitterrand crée un nouveau parti politique, la Convention des institutions républicaines (CIR) et publie Le Coup d'État permanent, essai dans lequel il dénonce la pratique du pouvoir personnel par le général de Gaulle.
En 1965, après l'échec de Gaston Defferre, Mitterrand parvient pour la première fois depuis 1947 à réunir les gauches divisées (Parti communiste, SFIO, CIR, Parti radical) autour de sa candidature en vue de l'élection présidentielle. Malgré la réélection du général de Gaulle, François Mitterrand acquiert une légitimité nouvelle comme opposant de gauche : il a en effet réussi à mettre le président sortant en ballottage et à remporter près de 45 % des voix. Fort de ce succès, il crée peu après la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) qui regroupe les partis de la gauche non communiste. Aux élections législatives de 1967, les forces de gauche, unies autour d'un programme, enregistrent une progression importante. L'année suivante toutefois, les élections législatives anticipées convoquées par le général de Gaulle au sortir de la crise de mai 68 sont pour la gauche un désastre, dont François Mitterrand, qui a appelé le 28 mai à constater la vacance du pouvoir et à procéder à la formation d'un gouvernement provisoire avec à sa tête Mendès France, est tenu pour responsable. S'il conserve son siège de député, Mitterrand est hors-jeu pour se présenter à l'élection présidentielle de 1969, la SFIO lui ayant retiré son soutien. La gauche est éliminée dès le premier tour et ce sont les candidats Georges Pompidou et Alain Poher qui s'affrontent au second.
Conscient de la nécessité d’unir l’ensemble de la gauche non communiste au sein d’un grand parti, François Mitterrand propose une fusion entre la CIR et le nouveau Parti socialiste (PS) qui a remplacé la vieille SFIO. Au congrès d’Épinay, en juin 1971, Mitterrand parvient contre toute attente à faire adopter sa motion, avec le soutien du CERES de Jean-Pierre Chevènement, et à se hisser à la tête du PS. Faisant le pari d'ancrer la formation à gauche pour siphonner le réservoir de voix communistes, le nouveau secrétaire général du PS signe, un an plus tard, un Programme commun avec le Parti communiste. Cette stratégie donne de premiers résultats lors des élections législatives de 1973, à l’issue desquelles le PS fait jeu égal avec le PCF, puis au cours de la campagne présidentielle anticipée de 1974, quand François Mitterrand est investi candidat unique de la gauche. S'il échoue au second tour des élections présidentielles face à Valéry Giscard d’Estaing, ce dernier ne l’emporte que d’un demi-million de voix d’avance, et la dynamique mitterrandienne ne s’arrête pas pour autant : le PS devance désormais le PCF aux élections cantonales de 1976 et municipales de 1977. Georges Marchais rompt alors l’Union de la gauche et Mitterrand perd les élections législatives de 1978 face à la droite, alors même que le PS était en position de force au premier tour. Michel Rocard, circonspect à l’égard de la ligne d’ouverture vers le PCF prônée par Mitterrand, remet alors en cause sa légitimité à être le candidat de la gauche à l’élection présidentielle de 1981. François Mitterrand parvient néanmoins à s'imposer au cours du congrès de Metz du PS face au représentant de la Deuxième gauche ; il est officiellement investi candidat socialiste en janvier 1981.
Mitterrand, qui adopte pour slogans Changer la vie et La force tranquille, s’inspire alors du Programme commun signé avec les communistes en 1972 et présente ses 110 propositions pour la France. À l’issue d’une campagne d’une grande virulence dans un contexte de crise économique et de chômage de masse, il remporte l’élection présidentielle.
La passation de pouvoirs a lieu le 21 mai 1981. Mitterrand s’installe à l’Élysée avec une équipe de fidèles : Pierre Bérégovoy, déjà à ses côtés durant sa campagne de 1974, devient secrétaire général de la présidence de la République, André Rousselet, son ancien chef de cabinet à l’Intérieur et à la Justice sous la IVe République, prend le poste de directeur de cabinet, Michel Charasse, rencontré du temps de la FGDS, est nommé conseiller auprès du Président, Guy Penne, co-fondateur de la CIR, devient le « Foccart de gauche » en prenant la responsabilité de la cellule des affaires africaines et malgaches de l’Élysée, et François de Grossouvre, ami de longue date, est chargé de mission sur des dossiers sensibles et président du comité des chasses présidentielles. Les quatre secrétaires particulières qui assistaient Mitterrand chez lui, rue de Bièvre, et au siège du PS, Marie-Claire Papegay, Paulette Decraene, Christiane Dufour et Joëlle Jaillette, le suivent à la présidence de la République. Le nouveau chef de l’État appelle aussi auprès de lui des énarques, tels que Jacques Attali, dont il fait son conseiller spécial, Jean-Louis Bianco, qui prend dès l’été 1982 la direction du secrétariat général de la Présidence, ou encore Hubert Védrine, le fils de son ami Jean Védrine, qui se charge des relations internationales. Sont aussi nommés à l’Élysée le philosophe Régis Debray, ancien partisan de Che Guevara et spécialiste de l’Amérique latine, ou Jean Glavany, proche collaborateur de Mitterrand au PS. Sur les conseils de son frère le général Jacques Mitterrand, le Président nomme chef de son état-major particulier le général de corps aérien Jean Saulnier. André Rousselet appelle auprès de lui Gilles Ménage, qui gravit les échelons du cabinet du Président et se charge entre autres des questions de renseignement et de terrorisme. Aux collaborateurs en titre s'ajoutent des conseillers et chargés de mission officieux, dont la présence est parfois officialisée par la suite, à l'exemple de Cyrille Schott, Gérard-David Desrameaux, Georgette Elgey ou Évelyne Richard. C’est au total une équipe bien plus nombreuse que celle de Valéry Giscard d’Estaing qui prend possession des lieux : elle peut compter au moins une cinquantaine de collaborateurs simultanément ; près de quatre-vingts personnes se succèdent au cours du septennat, ne serait-ce qu’au sein du secrétariat général et du cabinet, et l'on dénombre cent soixante-dix-neuf collaborateurs officiels sur l’ensemble des quatorze années que Mitterrand passera finalement au pouvoir. Ces personnes se voient confier des compétences très variées mais qui souvent se recoupent. Le Président recourt en effet à un « organigramme en écailles », pour reprendre la formule d'Hubert Védrine, n'hésitant pas à faire travailler sur un même sujet plusieurs conseillers, à leur insu si possible. Il obtient ainsi une information riche de points de vue différents et donc moins susceptible de refléter une « pensée unique ». Puisant de cette manière à plusieurs sources, il se ménage la possibilité, à laquelle il est attaché, de décider seul et en dernier ressort, en arbitre omniscient.
Aussitôt arrivé à la présidence de la République, François Mitterrand nomme Premier ministre le maire de Lille Pierre Mauroy, dissout l’Assemblée nationale et convoque de nouvelles élections. Celles-ci lui donnent une majorité absolue au Palais-Bourbon. Quatre ministres communistes entrent au gouvernement pour la première fois depuis 1947. De nombreuses mesures sociales, économiques ou symboliques sont rapidement prises : revalorisation du SMIC et des prestations sociales, création de l’impôt sur les grandes fortunes, réduction du temps de travail, octroi d’une cinquième semaine de congés payés, abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans, réforme du droit du travail, etc. Le gouvernement Mauroy procède également à de grandes réformes symboliques, telles que l’abolition de la peine de mort, à laquelle Mitterrand s’était engagé durant la campagne présidentielle, la suppression de la Cour de sûreté de l’État et des tribunaux militaires, la dépénalisation de l’homosexualité ou encore le remboursement par la sécurité sociale de l’interruption volontaire de grossesse. La période est également marquée par une grande effervescence culturelle. Le budget du ministère de la Culture est doublé en 1982. Jack Lang crée la fête de la Musique et fait adopter le prix unique du livre, ainsi qu'une loi sur les radios libres et procède à d’ambitieuses réformes du secteur audiovisuel. Les grands chantiers culturels du président Giscard d’Estaing (musée d’Orsay, Institut du monde arabe, halle de la Villette) sont poursuivis par son successeur, qui lance également de nouveaux projets d'une envergure sans précédent, destinés à laisser une empreinte durable dans le paysage parisien : Opéra Bastille, Grande Arche de la Défense, Grand Louvre et plus tard Bibliothèque nationale de France. Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur, met en place de son côté la décentralisation, accroissant significativement, à partir de 1982, les pouvoirs des collectivités territoriales. Afin de prendre le contrôle de l’économie, le gouvernement procède à de nombreuses nationalisations (trente-six banques, sept groupes industriels et deux compagnies financières). La tentative de relance de l'économie creuse cependant le déficit public sans produire les effets escomptés. Le chômage ne cesse d’augmenter pour atteindre les deux millions de chômeurs en 1983. La sidérurgie, les mines, le textile, les chantiers navals sont en crise. Le cours du franc se dégrade et trois dévaluations sont décidées entre octobre 1981 et mars 1983. Face au « mur de l’argent », dans un monde occidental où les temps sont à la contraction des dépenses publiques, Mitterrand se résout à la « rigueur » au début de l’année 1983 et la gauche enregistre un recul aux élections municipales. Une autre crise, d'ordre politique, vient s’ajouter : celle de l’école libre, suscitée par le projet de loi du ministre de l’Éducation nationale Alain Savary visant à encadrer l’enseignement privé. Sous la pression de la rue, Mitterrand retire son soutien à Savary, qui démissionne, suivi de Pierre Mauroy. Le président de la République nomme alors Premier ministre le jeune Laurent Fabius. Les ministres communistes quittent le gouvernement. Le nouveau chef du gouvernement poursuit les efforts de redressement économique amorcés par son prédécesseur. Le nombre de chômeurs continue cependant d’augmenter pour atteindre 2,5 millions en 1986. Des affrontements sanglants commencent à partir de novembre 1984 en Nouvelle-Calédonie entre partisans de l’indépendance et du maintien dans la République française. L’affaire du Rainbow warrior éclate l’année suivante et entache l’image du gouvernement, que doit quitter Charles Hernu, ministre de la Défense. Les élections législatives de 1986 au scrutin proportionnel que Mitterrand a fait adopter s’annoncent sous de mauvais auspices pour la gauche.
Hors des frontières, François Mitterrand, secondé par les ministres Claude Cheysson puis Roland Dumas, déploie son activité diplomatique dans plusieurs directions. Il s’engage dès octobre 1981, à l’occasion de la conférence de Cancún, en faveur d’un soutien au développement des pays du Tiers-Monde et appelle de ses vœux à un dialogue véritable entre le Nord et le Sud. Au Proche-Orient, il rompt avec la politique de ses prédécesseurs : il est le premier président français à se rendre en visite officielle en Israël. Il n’en exhorte pas moins l’État hébreu à négocier avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et apporte à plusieurs reprises son soutien à son chef, Yasser Arafat. La France envoie aussi une force d’interposition au Liban, déchiré par la guerre civile depuis 1975, et ailleurs dans le monde, notamment au Tchad menacé par la Libye. Cette politique de médiation militaire soulève en représailles une vague d’attentats et d’assassinats qui sont le fait de terroristes moyen-orientaux. Dès son arrivée au pouvoir, François Mitterrand se trouve confronté à la crise des euromissiles, née de l’installation par les Soviétiques de nouveaux missiles pointés vers l’Europe occidentale à la fin des années 1970. Favorable à la mise en place de fusées américaines en Allemagne pour répondre à cette menace mais attaché à l’indépendance de la défense française, Mitterrand refuse catégoriquement de placer la force de dissuasion nucléaire du pays sous le coup d’un accord américano-soviétique. Tant dans cette affaire que dans les relations bilatérales avec l’URSS, il fait preuve de la plus grande fermeté, refusant de transiger sur les principes, et n’hésite pas à critiquer l’action de l’Union soviétique en Pologne et en Afghanistan. Parallèlement, s’il réaffirme son attachement à l’alliance atlantique et à l’amitié franco-américaine, il refuse de s’aligner systématiquement sur Washington et ne s’engage pas dans le projet de « guerre des étoiles » du président Reagan. Une autre des priorités de sa politique étrangère, et non la moindre, est la relance de la construction européenne, alors en panne. Ses propositions, notamment d’un « espace social européen », se heurtent dans un premier temps à l’intransigeance de Margaret Thatcher et à la question du chèque britannique. L’arrivée au pouvoir de Helmut Kohl en 1982 en République fédérale d'Allemagne et le rapprochement franco-allemand, illustré par le geste fort de François Mitterrand à Verdun en septembre 1984 – facilitent l’avancée du projet européen porté par la France. À l’issue de la présidence française de la Communauté européenne et du conseil européen de Fontainebleau de juin 1984, le principe de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal est accepté, Jacques Delors prend la tête de la Commission et un ambitieux programme d’approfondissement de la construction européenne est arrêté. L’Acte unique signé en 1986 vient l’entériner. L’achèvement du marché unique est prévu pour 1992.
Comme l’Élysée s’y attendait, la gauche perd les élections législatives de mars 1986. La droite est victorieuse et, du fait de la proportionnelle, le Front national de Jean-Marie Le Pen parvient à obtenir des sièges à l’Assemblée nationale. Soucieux de respecter les institutions et de ne pas aller à l’affrontement, François Mitterrand nomme Premier ministre Jacques Chirac, la veille encore chef de l'opposition. Un gouvernement de droite investit donc les ministères, tandis que le président de la République, de gauche, reste en fonctions : c'est la cohabitation, scénario inédit sous la Ve République. Le chef de l'État et ses conseillers se retrouvent isolés. Michel Charasse et Jean-Louis Bianco ont au préalable étudié méticuleusement chacun des articles de la Constitution pour déceler les marges de manœuvre institutionnelles à la disposition du Président pour contrer le gouvernement. Michèle Gendreau-Massaloux, ancien conseiller technique pour l’éducation nationale et secrétaire général adjoint depuis 1985, est choisie à dessein comme porte-parole de la Présidence et prend le contre-pied du style de Denis Baudouin, le communicant de Jacques Chirac. Mitterrand défend dès lors ses prérogatives présidentielles, la conduite des affaires étrangères et de la défense nationale, dont il s'efforce de tenir son Premier ministre à l’écart, la France ne devant « parler que d’une seule voix ». Il refuse par ailleurs de signer les ordonnances que Jacques Chirac veut faire passer pour revenir sur les acquis sociaux des premières années du septennat et n’hésite pas à faire connaître ses critiques à l’égard de sa politique. Les échecs politiques du gouvernement, notamment le tour tragique pris par la crise en Nouvelle-Calédonie ou « l'affaire Gordji », bénéficient au président de la République qui, alors que s’annonce l’élection présidentielle de mai 1988 pour laquelle Jacques Chirac entre en lice, ménage jusqu’au début du mois de mars le suspense sur sa propre candidature.
Face à son Premier ministre, François Mitterrand est confortablement réélu avec un peu plus de 54 % des voix. Il dissout aussitôt l'Assemblée nationale et obtient, aux législatives, une nouvelle majorité de gauche. La réélection du Président s’accompagne d’un renouvellement partiel de son équipe de collaborateurs. Plusieurs d’entre eux partent, à l’instar de Jean-Claude Colliard (directeur de cabinet), Christian Prouteau (cellule antiterroriste), Ségolène Royal (affaires sociales), Régis Debray (affaires étrangères), Alain Boublil (industrie, équipement), Jean Glavany (chef de cabinet). De nouvelles recrues s’installent, dont Caroline de Margerie (affaires étrangères et désarmement), Georgina Dufoix (solidarité), Sophie Bouchet (culture, affaires sociales), Bruno Chetaille (audiovisuel) ou Loïc Hennekinne (diplomatie). Trois gouvernements de gauche se succèdent au cours de la législature 1988-1993, avec à leur tête Michel Rocard (mai 1988-mai 1991), chantre de la Deuxième gauche, Édith Cresson (mai 1991-avril 1992), puis Pierre Bérégovoy (avril 1992-mars 1993), tous trois anciens ministres du premier septennat. Ils rétablissent les réformes sociales abolies par le gouvernement Chirac. L’impôt sur les grandes fortunes est ainsi recréé. Un revenu minimum d’insertion (RMI) est instauré, ainsi que la contribution sociale généralisée (CSG) destinée à financer la sécurité sociale. La loi Pasqua sur l’immigration est abrogée, l’administration des PTT scindée en deux avec la création de France Télécom et de La Poste. Le Président accorde la priorité à la politique de la ville et à l’éducation, fixant pour objectif au ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin, de porter 80 % de chaque classe d’âge jusqu’au baccalauréat. En 1988, les accords de Matignon mettent fin aux affrontements en Nouvelle-Calédonie en prévoyant un délai de dix ans avant que les Néo-Calédoniens se prononcent sur leur indépendance. L’année 1989 est marquée par les célébrations du bicentenaire de la Révolution française, auxquelles le chef de l’État accorde une importance particulière. Toutefois, malgré une embellie sous le gouvernement Rocard, le chômage repart à la hausse à partir de 1992 et la droite semble en passe de remporter les prochaines élections législatives. L’aura de François Mitterrand est affectée par la publicité donnée en septembre 1992 au cancer dont il est atteint depuis 1981, tandis que plusieurs affaires politico-financières (Péchiney-Triangle, Urba...) défraient la chronique et éclaboussent la majorité au pouvoir.
Sans surprise, les élections législatives de 1993 voient la déroute de la gauche et les partis de droite s'arrogent 472 des 577 sièges de l'Assemblée nationale. Édouard Balladur, ancien ministre de l’Économie, des Finances et de la Privatisation de Jacques Chirac, est nommé Premier ministre. S'ouvre une cohabitation « de velours », caractérisée par une reprise des privatisations voulues par la droite, mais aussi par de nouvelles « affaires ». Des scandales ponctuent en effet les années 1993 et 1994 : révélation par le journal Libération des écoutes téléphoniques menées par l'Élysée entre 1983 et 1986 au prétexte d'assurer la sécurité du Président et des siens, suicide de Pierre Bérégovoy, assassinat de René Bousquet, l’un des responsables de la rafle du Vel d’Hiv et ami de François Mitterrand, mise en cause de son ancien ministre Bernard Tapie dans l'affaire VA-OM, mort mystérieuse de François de Grossouvre dans son bureau à l'Élysée, mise en examen des anciens ministres Laurent Fabius, Edmond Hervé et Georgina Dufoix dans le cadre de « l’affaire du sang contaminé », parution du livre de Pierre Péan, Une jeunesse française, qui décortique le parcours politique complexe de François Mitterrand entre 1934 et 1947, auquel celui-ci répond par les entretiens qu'il accorde à Georges-Marc Benamou (Le Dernier Mitterrand), révélation de l'existence de sa fille cachée, Mazarine, issue de la relation qu'il entretient avec Anne Pingeot depuis 1963 et qu'il loge avec sa mère au palais de l'Alma. Ce sont autant d'évènements qui égratignent l'image d'un Président physiquement diminué, dont on guette la moindre évolution de la maladie.
À l'international, Mitterrand a rendez-vous avec l’Histoire. Mikhaïl Gorbatchev arrivé au pouvoir en URSS en 1985, lance la glasnost et la perestroïka afin de réformer le vieil État soviétique. François Mitterrand, qui a compris l’opportunité qui s’offre au monde, s’implique personnellement en faveur du dégel des relations américano-soviétiques. Il soutient le mouvement démocratique qui s’empare de l’Europe de l’Est à la fin des années 1980 et conduit à l’ouverture du bloc communiste, à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et à la réunification allemande. Sous ses auspices, les pays européens signent en 1990 la Charte de Paris qui entérine les frontières de l’après-Yalta et établit le nouveau cadre des relations entre les États du continent. Dans cette Europe en grande mutation, François Mitterrand œuvre activement, avec le partenaire allemand et malgré les réticences britanniques, à la consolidation de l’intégration européenne : cet effort aboutit en février 1992 à la signature du traité de Maastricht, qui transforme la Communauté économique européenne en Union européenne, parachève la mise en place du Marché unique, prévoit l’adoption d’une monnaie unique, instaure une citoyenneté européenne et étend les compétences de la Communauté en matière de politique sociale et d’enseignement notamment. Aux portes de cette Europe, la guerre éclate en Yougoslavie en 1991. Jusqu’en 1994, le Président soutient activement toutes les tentatives de paix et, le 27 juin 1992, il se rend personnellement à Sarajevo assiégée par l’armée serbe. Au Moyen-Orient, à l'invasion du Koweït par l'Irak de Saddam Hussein, il répond d'abord par la diplomatie, puis par la force, en engageant à partir de janvier 1991 l’armée française aux côtés des États-Unis. Vis-à-vis des pays africains, François Mitterrand fait savoir en juin 1990 par son discours de La Baule que l’aide au développement que la France leur apporte est désormais subordonnée à leurs efforts de démocratisation. La guerre civile rwandaise, qui débute la même année et suscite aussitôt une intervention de l’armée française, ébranle quatre ans plus tard l’Élysée et le gouvernement Balladur lorsque, après l’assassinat des présidents du Rwanda et du Burundi, les extrémistes du Hutu Power, aux prises avec le Front patriotique rwandais, procèdent au génocide tutsi et massacrent les Hutus modérés du pays. La France est accusée d’avoir soutenu le gouvernement intérimaire hutu, et donc le génocide, et le rôle de l'opération Turquoise, son intervention militaire pour créer une zone humanitaire de sécurité (ZHS), est particulièrement critiqué.
Dans les mois qui suivent, François Mitterrand, désormais au-dessus des partis, puisqu’il ne brigue pas de troisième mandat, assiste à la course à l'élection présidentielle à laquelle se livrent ses deux anciens Premiers ministres Jacques Chirac et Édouard Balladur et le socialiste Lionel Jospin. Les relations entre le Président et ce dernier sont pour le moins fraîches depuis que Lionel Jospin est entré en campagne en février 1995 en réclamant un « droit d'inventaire » sur les années Mitterrand. Le 7 mai, c’est Jacques Chirac qui est élu président de la République. Le lendemain, il est aux côtés de Mitterrand pour la commémoration du cinquantenaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Neuf jours plus tard, François Mitterrand transmet les pouvoirs à son successeur, quitte l'Élysée et rejoint le siège du PS, où il prononce son dernier discours public. L’ancien Président s’installe ensuite avec quelques collaborateurs dans un appartement de 400 m² de l'avenue Frédéric-Le-Play, mis à disposition par l’État. Avant d'y mourir le 8 janvier 1996, il reçoit de nombreuses personnalités françaises et étrangères et trouve la force d’écrire trois derniers livres (Mémoire à deux voix, avec Élie Wiesel, Mémoires interrompus et De l’Allemagne, de la France). Il s’accorde aussi quelques voyages, le dernier en Égypte avec sa fille Mazarine pour la Noël 1995. Le 11 janvier 1996, lors de ses obsèques à Jarnac, la France entière découvre ses deux familles pour la première fois réunies. Au même moment, Jacques Chirac et soixante-et-un chefs d’État et de gouvernement du monde entier rendent hommage en l’église Notre-Dame de Paris à l’homme d’État disparu.
François Mitterrand laisse derrière lui une Ve République qui a fait l’expérience de l’alternance, des institutions qui ont résisté à l’épreuve de deux périodes de cohabitation, ainsi qu’une œuvre d’essayiste et d'orateur politique considérable. Les lieux qu'il a habités, l'appartement de la rue de Bièvre, la bergerie de Latche dans les Landes, où il prenait ses quartiers d'été, ainsi que Château-Chinon dont il fut maire, et la roche de Solutré, haut lieu de la Résistance dont il effectuait l'ascension chaque année, sont entrés dans la mythologie mitterrandienne.